UNE PEINTURE
SCULPTURALE : peinture entre sculpture et écriture ?
La visite
d’une galerie, d’une exposition, d’un accrochage d’artiste, d’un atelier sont
des moments rares où tout peut arriver… rien de grave certainement, mais
quelque chose d’important, peut-être !
Au premier
regard, le corps humain et la douleur s‘imposent. Puis la forme, la silhouette, la pose ou la posture, le
mouvement et la contorsion se dessinent. Bien sûr les Captifs sont quelque
part, esclaves entravés, statues torturées, des figures aux membres liés et des
momies emprisonnées de leurs bandelettes. Les têtes elles-mêmes sont bandées,
les regards cachés, mais parfois le cri surgit
de ces visages anonymes, de ces personnages souffrants.
Bien sûr la référence michelangelesque s’impose,
mais ce ne serait pas qu’une apparence, ni même une unique démarche de citation
esthétique. A l’instar des atlantes aux corps puissants, sans visages, qui
semblent lutter seuls contre la pierre afin de pouvoir s’en dégager
irrémédiablement, les figures peintes ici semblent développer une force
intérieure prodigieuse, simplement pour s’extraire de la matière, pour arracher
par elles-mêmes la part de vérité qui leur manque. Ces êtres pourraient bien
rester prisonniers de la création de l’artiste, bien inversement de Prométhée
donnant la vie à sa création.
Les ignudi de la Chapelle Sixtine ne sont
que variantes peintes de ces corps de marbre froid, mais dont la colorimétrie
ne masque qu’imparfaitement la préoccupation primordiale de s’affranchir d’un
espace trop étriqué, à la surface même de la paroi peinte à fresque, bien trop
étroit pour ces corps musculeux indifféremment
féminins ou masculins.
Chez
Merolli, colosses aux pieds d’argile, aux proportions statuaires et formes
sculpturales, ces corps lourds s’ancrent dans la matière terrestre, dans
laquelle ils se fondent et se dissolvent quelquefois. La démultiplication de la
figure jusqu’à l’échelle microscopique s’observe dans la matière même de
certains de ses colosses, tel un magma de corpuscules formant un tout
à son image. Le même corps figure
aussi d’autres fois, esquissé à plus
petite taille, disposé comme une notule dans la fausse marge de la toile, comme
en citation… ou bien plutôt sous la forme d’une apparente extraction ?
La matière
est primordiale dans sa peinture, non pas par adjonction de touches mais bien
au contraire, la forme définie par la lumière et le mouvement sont issus d’un
enlèvement de la peinture, d’un geste d’essuyage. Une matière affinée qui
laisse transparaître d’autres formes, d’autres espaces. Une matérialité
inhabituelle car elle n’est pas uniquement faite de peinture dont la
préparation donnerait le relief, mais une technique mixte puisque le papier
vient remplacer les mastics et les enduits avec noblesse et originalité.
Le papier
principalement dévolu à l’écriture en constitue bien là aussi le support, une
écriture peinte ou dessinée, une graphie esthétique, mais dont le sens se perd
dans l’impossibilité du déchiffrage. Une écriture elle aussi marquée dans la
matière par la technique ancestrale du sgraffito
dans la peinture. Une écriture
qui accompagne l’image sans être jamais
une narration, bien qu’elle laisse au spectateur cette illusion
rassurante… une référence littéraire ou poétique, potentiellement issue de
textes anciens ou mystiques, comme un guide dans cette iconographie singulière.
On pourrait envisager l’écriture dans les toiles de Merolli comme des hommages
secrets, mais en aucun cas cénotaphe au sens grec de « tombeau vide »
car la mort n’est pas conviée : ces inscription ne sont pas
épitaphes !
Ce sont des
luttes immémoriales, que l’artiste ambitionne. On rapprocherait encore ses
figures peintes de celles à fresque sur la voûte de la Sixtine, qui se chargent
d’une immense tension à l’arrivée du Déluge,
s’amplifient par le nombre de personnages qui se bousculent, poussés par le désespoir
ultime… ou bien encore ces damnés du Jugement
dernier, entrainés et happés par les démons dans des contorsions admirables
et chorégraphiques. Aucun plagiat cependant, seulement des focus que chacun des
observateurs peut établir à sa guise, car l’œuvre de Merolli interpelle
fortement. Au-delà des figures angoissantes se ressentent toutes les
composantes d’une dramaturgie contemporaine ancrée dans un antérieur proche.
De même que
dans la célèbre Bataille de Cascina,
ce qui fascine dans la peinture de Merolli c’est qu’il choisit, lui aussi semble-t-il,
le moment précédant de façon imminente le combat irrémédiable, l’instant avant
l’évènement fatal… et transmet dans ces
toiles toute la tension baroque que la peinture peut exprimer.
Pascal
Trarieux conservateur du musée des Beaux
Arts de Nimes
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